
La Tradition de Forge Soshu-den


Une représentation du légendaire forgeron Masamune considéré comme le meilleur forgeron de tous les temps qui a marqué de son empreinte la tradition Soshuden.
Naissance de la tradition
de forge Soshu-den
La tradition Soshu, ou Soshuden, représente un moment charnière dans l’histoire de la forge japonaise, une période où l’artisanat a répondu à des exigences militaires sans précédent tout en repoussant les limites de la technique et de l’esthétique.
Elle est née avec la création du shogunat de Kamakura (1185-1333), dans la province de Sagami (actuelle préfecture de Kanagawa), et a marqué un tournant dans la manière dont les sabres japonais étaient conçus et fabriqués.
Avant l’ère Kamakura, la production de sabres se concentrait principalement dans les provinces de Yamashiro et de Yamato, les foyers historiques de la forge japonaise.
Cependant, face à la montée des conflits et dans le cadre d’un effort pour renforcer sa puissance militaire, le shogunat de Kamakura prit une décision radicale : rassembler les meilleurs forgerons du pays à proximité immédiate de sa capitale.
Tokiyori Hojo, régent influent du shogunat, invita ainsi trois maîtres forgerons d’exception à s’installer à Kamakura :
- Awataguchi Kunitsuna de Yamashiro,
- Bizen Saburo Kunimune de Bizen,
- Fukuoka Ichimonji Sukeshin, également de Bizen.
Ces artisans posèrent les bases de ce qui allait devenir la prestigieuse école Soshu, révolutionnant la forge japonaise.
Le véritable essor de la tradition Soshu se produisit au cours des invasions mongoles, connues sous les noms de guerre de Bun'ei (1274) et de guerre de Koan (1281).
Ces affrontements révélèrent les limites des sabres traditionnels : trop lourds ou fragiles, ils se brisaient souvent sous les coups répétés ou manquaient de maniabilité.
Ce défi incita les forgerons de Kamakura, dont Shindo Gokokumitsu, Yukimitsu, et surtout le légendaire Masamune, à développer une nouvelle méthode de forge.
Masamune, le forgeron légendaire.
Masamune Okazaki, également connu sous le nom de Goro Nyudo Masamune, est considéré comme l’un des plus grands forgerons de l’histoire du Japon.
Bien que les détails de sa vie soient entourés de mystère, les historiens s’accordent à dire qu’il a forgé ses sabres les plus célèbres entre 1288 et 1328, durant l’époque Kamakura.
Originaire de la province de Sagami Masamune a perfectionné l’utilisation de différents types d’acier dans une seule lame, combinant dureté et flexibilité grâce à des procédés complexes de forge et de trempe.
Ce mélange d’acier doux et dur, appelé kobuse, permettait de créer des sabres capables de résister aux chocs tout en conservant un tranchant exceptionnel.
le Honjō Masamune

Le Honjō Masamune, le sabre perdu de Masamune
Parmi les trésors légendaires de l’histoire du Japon, le sabre Hojo, attribué au maître forgeron Masamune, occupe une place unique.
Ce katana mystérieux, dont l’existence même est entourée d’ombres, incarne autant l’excellence de l’artisanat japonais que les intrigues de son histoire.
Le Hojo aurait été forgé à une période clé de la vie de Masamune, lorsque sa maîtrise technique atteignait des sommets.
Ce katana, selon les récits, symbolisait non seulement son talent mais aussi l’esprit de l’époque : un mélange de discipline martiale et de spiritualité shintoïste.
Les origines précises du Hojo sont floues, mais les légendes rapportent qu’il aurait appartenu à un seigneur influent de la région de Kamakura, peut-être issu du clan Hojo, d’où son nom.
Ce katana aurait été transmis de génération en génération, avant de disparaître mystérieusement à une époque indéterminée.
Certaines hypothèses suggèrent que le Hojo a été perdu lors des guerres civiles de l’époque Sengoku (XVe-XVIe siècles), une période marquée par des batailles sanglantes et des pillages incessants. D’autres théories avancent qu’il aurait été volé ou offert comme cadeau diplomatique à un dignitaire étranger.
Une chose est sûre : aucune trace tangible du sabre n’a été retrouvée, et son absence nourrit un intérêt inextinguible.
Les Masamune no Jittetsu :
Les dix disciples
légendaires de Masamune
Dans l'histoire des sabres japonais, les Masamune no Jittetsu occupent une place toute particulière. Ce groupe légendaire de dix forgerons, disciples du maître Masamune, représente l'un des premiers exemples d'une collaboration entre artisans confirmés et novateurs, dans un atelier qui transcendait les traditions individuelles pour atteindre un art raffiné et inégalé.
Le terme Jittetsu, qui signifie littéralement "les dix disciples", désigne ces forgerons réputés qui étudièrent sous la direction de Masamune tout en développant leurs propres techniques.
Contrairement à l'idée répandue de simples apprentis, ces artisans étaient déjà des maîtres dans leurs traditions respectives. Ils rejoignirent Masamune pour enrichir leur savoir-faire, mêlant créativité personnelle et enseignements du maître.
La liste classique des Jittetsu comprend les noms suivants :
• Gō Yoshihiro (江義弘)
• Saeki Norishige (佐伯則重)
• Bizen Kanemitsu (備前兼光)
• Bizen Chōgi (備前長義)
• Hasabe Kunishige (長谷部国重)
• Sekishū Naotsuna (石州直綱)
• Chikuzen Samonji (筑前左文字)
• Yamashiro Rai Kunitsugu (山城来国次)
• Mino Shizu Kaneuji (美濃志津兼氏)
• Mino Kinjū (美濃金重)
Chaque disciple incarnait un style unique, influencé par sa région d'origine et son propre génie. Pourtant, sous la tutelle de Masamune, leurs créations gagnèrent en cohérence et en raffinement, notamment dans le traitement de l’acier et la maîtrise du hamon, la ligne de trempe caractéristique des sabres japonais.
Quelques lames extraordinaires des Masamune no Jittetsu

Sabre forgé par Gō Yoshihiro (江義弘), il était le meilleur des « Masamune no jūttetsu » il a mélangé le Sōshū avec des éléments du Yamashiro. et la tradition Yamato, ce qui signifie qu'il ne mettait pas nécessairement l'accent sur les caractéristiques Sōshū Il a laissé des chefs-d'œuvre comme le meibutsu Inaba-Gō (稲葉江), Tomita-Gō (富田江) et Samidare-Gō (五月雨江).

Tanto forgé par Saeki Norishige (佐伯則重), Il peut être considéré comme l'une des œuvres les plus classiques de Norishige, où le sugata a pris la forme de takenoko-zori , et nous pouvons voir l'activité extrêmement élevée de tous les éléments ji et ha qui caractérisent le matsukawa-hada .

Sabre forgé par Bizen Kanemitsu (備前兼光), Ce sabre fut un trésor familial du clan Shimazu pendant de nombreuses générations. Ce sabre, attribué à Kōtoku par Hon'ami, occupait une place de choix dans la collection du clan et était étroitement lié à son histoire.

Sabre forgé par Hasebe Kunishige (長谷部国重) L'épée présentée ici est un exemple très important de l'art de la forge de l'école Hasebe. Il est très rare de voir l'utilisation complète du hitatsura (Le Hitatsura est un type de hamon ,motif de trempe, particulièrement distinctif et impressionnant. Il se caractérise par une combinaison de styles tels que le Gunome-midare, le Notare-midare, ou d’autres motifs ondulés, enrichis par de nombreux Tobiyaki, ces zones trempées apparaissant en éclats irréguliers sur la lame.)

Sabre attribué à Sekishū Naotsuna (石州直綱), très belle lame, avec un beau jihada et une magnifique activité sur toute la lame.
L'école de Masamune
À l'époque de Masamune, l’idée d’un atelier rassemblant plusieurs maîtres autour d’une même forge était révolutionnaire.
Contrairement aux apprentissages traditionnels, où le maître enseignait à des débutants, l’atelier de Masamune accueillait des forgerons déjà renommés, venant enrichir l'art de la forge par leurs propres contributions.
Ce système a permis de faire émerger une école de pensée où traditions locales et techniques nouvelles se mêlaient harmonieusement.
Cela explique pourquoi les sabres des Jittetsu sont aujourd’hui reconnus pour leur diversité stylistique, tout en reflétant l’héritage commun de leur maître.
La composition des Jittetsu n’a pas toujours été immuable.
À différentes époques, historiens et spécialistes ont proposé des listes variées en fonction des critères d’attribution.
Par exemple, certains récits incluaient Kongōbyōe Moritaka, un autre forgeron réputé, tandis que d'autres excluaient des figures comme Rai Kunitsugu, Naotsuna ou encore Chōgi(Nagayoshi).
Les dix noms cités plus haut sont désormais largement acceptés comme étant les disciples officiels de Masamune.
Cette uniformité reflète non seulement un consensus historique, mais aussi la fascination durable pour cette figure légendaire de la forge japonaise.
L'héritage des Masamune no Jittetsu
Les sabres forgés par les Jittetsu, bien qu'influencés par leur maître, conservent des traits distinctifs propres à chaque artisan.
Par exemple, les œuvres de Gō Yoshihiro sont souvent louées pour leur éclat inégalé et leur résistance exceptionnelle, tandis que celles de Norishige se distinguent par un motif de grain (jihada) d'une complexité remarquable.
Les contributions de Kanemitsu et Chōgi ont marqué l'évolution stylistique des sabres de la région de Bizen, tandis que des forgerons comme Samonji ou Naotsuna ont contribué à l'épanouissement de leurs écoles régionales respectives.
Au-delà de leur impact individuel, ces artisans ont permis à l’art de la forge japonais de franchir un nouveau cap.
Les caractéristiques du Shoshuden
Le Soshuden se distingue par une harmonie parfaite entre robustesse, fonctionnalité et esthétique. Parmi ses caractéristiques principales, on trouve :
1. Une construction multicouche : Le mélange de fer dur et mou permet une meilleure absorption des chocs, limitant les risques de casse.
2. Un design élégant et fonctionnel : Les sabres Soshu sont longs et larges, avec des lignes nettes et une pointe allongée, idéales pour les techniques de percement. Cette silhouette rappelle l’efficacité des épées occidentales tout en conservant l’identité japonaise.
3. Un hamon distinctif : Le style notare-bun, aux courbes ondulantes, évoque des paysages naturels et exprime une beauté artistique rare.
4. Une technique avancée : La méthode exige de chauffer l’acier à des températures élevées avant un refroidissement rapide, conférant aux sabres une combinaison unique de dureté et de flexibilité. Le Soshuden permit la création de sabres réputés "incassables et capables de couper l’armure", des qualités qui en firent des armes essentiels pour les samouraïs de l’époque. Le Soshuden connut son apogée à la fin de la période Kamakura et au début de la période Nanbokucho (1336-1392).
Sa popularité s’étendit à travers tout le Japon, devenant un modèle pour de nombreuses autres écoles de forge.
Cependant, cette méthode était incroyablement exigeante, tant sur le plan technique que matériel, ce qui la rendait difficile à reproduire en dehors des ateliers spécialisés de Kamakura.
Les cinq grandes périodes du Soshuden
La tradition Soshu peut être divisée en cinq périodes distinctes, reflétant l’évolution des styles et des maîtres qui l’ont façonnée :
1. Première période :
Sous l’égide de Shindo Gokokumitsu, les bases de la forge Soshu sont établies.
2. Première moitié : L’ère de Yukimitsu, Masamune et Sadamune, marquée par des avancées majeures en technique et en esthétique.
3. Troisième période : Dominée par Hiromitsu, cette époque se caractérise par des innovations subtiles dans le design des sabres.
4. Période intermédiaire : Sous Akihiro, les sabres gagnent en finesse et en équilibre, répondant aux besoins de la guerre de l’époque.
5. Quatrième période : Hiromasa et Masahiro maintiennent la tradition en adaptant les techniques aux réalités de l’ère Edo.
Durant la période Muromachi (1336-1573), le Japon connut un relatif apaisement après des siècles de guerre. Ce contexte, combiné à la disparition de certains clans puissants, entraîna le déclin de Kamakura en tant que centre de forge.
Les forgerons de Soshu furent contraints de quitter la région et de s’installer à Odawara, toujours dans la province de Sagami.
À Odawara, bien que les sabres continuent d’être produits, les artisans ne purent maintenir les standards rigoureux de la tradition Soshuden.
Les détails complexes du hamon laissèrent place à des motifs plus simples, et les techniques originales furent modifiées pour s’adapter à une production moins exigeante.
Malgré cela, la famille Tsunahiro, maîtres de la forge d’Odawara, conserva une partie de l’héritage Soshu, produisant des sabres jusqu’à la période Meiji (1868-1912).
Bien que la tradition Soshu ait décliné, son impact sur la forge japonaise reste incommensurable. Les sabres Soshuden, avec leur équilibre parfait entre utilité militaire et raffinement artistique, continuent de fasciner les amateurs d’armes anciennes et les pratiquants d’arts martiaux.